Date
12.05.2025
La numérisation est arrivée il y a bien longtemps dans nos administrations, mais comment la rendre réellement performante pour proposer une véritable valeur ajoutée aux citoyennes et citoyens ? Quels sont les défis à surmonter ? Quels facteurs contribuent à son efficacité ?
Quelque 250 invité·e·s ont obtenu des réponses à ces questions lors de la demi-journée de l’innovation et de l’apéro de printemps de Bedag le 8 mai 2025, organisés dans l’espace culturel bernois « Bierhübeli ». Des expert·e·s chevronné·e·s y ont partagé avec les invité·e·s quelques-unes de leurs connaissances ainsi qu’un aperçu de leurs activités autour de la numérisation dans l’administration.
L’événement a pu accueillir Benjamin B. Bargetzi en tant que conférencier principal, l’un des principaux penseurs et pionniers européens dans les domaines de l’IA, de l’avenir de la société, de la psychologie et des neurosciences. L’administration publique a également pu présenter son expérience grâce à la présence de Syrian Hadad, CTO du canton d’Argovie, de Michael Kammerbauer, responsable du Secrétariat à l’administration numérique du canton de Berne, et du Dr Alexandra Collm, responsable de la division principale Clientèle et membre de la direction de l’Office d’informatique et d’organisation de la Ville de Zurich (OIZ). Thomas Alabor de Bedag a finalement apporté son analyse quant à ces sujets du point de vue d’un prestataire de services informatiques.
Nous mettons ici les principales conclusions des intervenant·e·s à disposition d’un public plus large :
Lors de sa conférence, Benjamin B. Bargetzi a exposé les raisons de la lenteur et des limitations de la transformation numérique dans l’administration publique par rapport aux autres organisations. En se basant sur des connaissances actuelles issues des neurosciences, ce dernier a présenté les mécanismes cognitifs et les facteurs culturels qui freinent l’innovation et expliqué comment celle-ci peut être accélérée.
Il s’est par ailleurs intéressé à d’autres pays et aux géants de la technologie au-delà de nos frontières pour montrer comment ceux-ci gèrent ce processus de numérisation, notamment : les principes que suivent les États-Unis, l’Arabie saoudite, la Chine ou encore la Silicon Valley, comment leur culture se distingue de la pensée administrative suisse et les enseignements que nous pouvons en tirer pour notre avenir.
Benjamin B. Bargetzi compte parmi les principaux penseurs et pionniers européens dans les domaines de l’IA, de l’avenir de la société, de la psychologie et des neurosciences. Son travail porte essentiellement sur la manière dont les personnes, les organisations et même des cultures entières réagissent face au changement.
Syrian Hadad a exposé un aperçu captivant de la transformation numérique du canton d’Argovie. Celui-ci a démontré comment des outils de gouvernance efficaces, une approche évolutive plutôt que des modifications brutales et la démocratisation du développement favorisent un changement profond. Il a en particulier attiré l’attention sur le portail moderne d’Argovie, qui rassemble le canton et ses communes sur une même plateforme. L’exposé a été complété par des exemples concrets d’utilisation de l’IA, allant de la transcription du suisse allemand à des chatbots vocaux capables de trouver de manière autonome des informations dans des documents. Les participant·e·s ont ainsi pu découvrir sous un nouveau jour comment l’innovation peut être mise en œuvre efficacement dans le secteur public.
Syrian Hadad est le CTO du canton d’Argovie et une figure de proue de la transformation numérique dans l’administration. Forts de plus d’une dizaine d’années d’expérience, il combine technologie et stratégie commerciale, modernise les infrastructures informatiques et met en œuvre des solutions sécurisées et flexibles.
Des plateformes pionnières telles que le Smart Service Portal pour le canton et les communes, la plateforme de cloud d'Argovie ainsi que différents projets d’IA ont vu le jour sous sa direction. C’est grâce à des plateformes low-code qu’il accélère le développement de services numériques. Son engagement a même permis au canton d’Argovie de remporter le Digital Economy Award 2023. Syrian Hadad partage ses connaissances sur la transformation numérique et la modernisation du cloud à la fois en tant que conférencier, auteur spécialisé et maître de conférences. Son objectif : transformer durablement les administrations et les entreprises grâce à des technologies de pointe.
La transformation numérique n’est pas seulement une question de technologie : c’est avant tout un changement culturel. Bien que les outils et les systèmes soient souvent rapidement accessibles d’un point de vue technique, le processus de changement se heurte le plus souvent à la peur, à l’incertitude et au manque de participation. Les services métier ont le sentiment de subir les décisions, tandis que les équipes informatiques rencontrent de fortes oppositions. Deux exemples pratiques – l’introduction d’un formulaire numérique et de plateformes de collaboration – illustrent parfaitement la conclusion suivante : sans une approche centrée sur l’utilisateur·rice et sans intégration concrète du contexte culturel, le progrès est impossible.
L’être humain est au cœur de toute transformation réussie. Ce n’est pas la perfection, mais la participation qui détermine ce succès. Une transformation passe par la sécurité psychologique, un pilotage agile, des espaces d’apprentissage et une collaboration intersectorielle.
Elle ne commence pas « en haut », mais au niveau de chaque individu. Elle ne sera couronnée de succès que si nous lui donnons du sens, créons un climat de confiance et la façonnons ensemble. Le renouveau est le fruit de petites réussites, du courage d’apprendre et de la volonté d’assumer de nouvelles responsabilités.
Michael Kammerbauer est à la tête du Secrétariat à l’administration numérique du canton de Berne depuis avril 2023. Il était jusqu’alors chef suppléant du Centre des publications officielles et chef de l’unité Technologie de l’information et du développement à la Chancellerie fédérale. À ce titre, il était notamment responsable de la modernisation du système informatique pour les publications officielles. Il avait par ailleurs piloté différents projets numériques dans le domaine des médias avant de rejoindre la Chancellerie fédérale. En tant que membre de l’organe de direction opérationnelle de l’Administration numérique suisse, Michael Kammerbauer codirige la mise en œuvre de la stratégie ainsi que l’élaboration du plan de mise en œuvre.
Une stratégie de numérisation moderne est à la base des ambitions numériques : elle assure la stabilité tout en stimulant l’innovation.
La transformation numérique n’est pas un sprint, mais un marathon. Et les organisations informatiques doivent maîtriser les deux aspects suivants pour aller au bout : une stabilité à toute épreuve et un esprit d’innovation tourné vers l’avenir. Miser uniquement sur la sécurité opérationnelle, c’est se priver demain de toute marge de manœuvre.
La ville de Zurich a ainsi adopté une approche bimodale, basée sur une connaissance approfondie de ces deux dimensions. Pour ce faire, une structure qui intègre à la fois des éléments de stabilisation et de stimulation de l’innovation est nécessaire – c’est-à-dire une approche qui va au-delà de la séparation organisationnelle et qui est ancrée dans le contexte culturel. C’est précisément là qu’intervient la stratégie de numérisation de la ville de Zurich.
La ville de Zurich s’appuie sur une stratégie de numérisation globale qui:
Le parcours de numérisation de la ville de Zurich (p. ex. « Mon compte », M365, initiatives en matière d’IA) illustre comment la maturité numérique a été atteinte petit à petit : grâce à un processus de réflexion continu, avec un sens aigu pour la stabilité et l’innovation.
En somme, la réussite du marathon de la transformation numérique requiert:
Dr Alexandra Collm, est responsable de la division principale Clientèle et membre de la direction de l’Office d’informatique et d’organisation de la Ville de Zurich (OIZ) depuis avril 2017. Elle assure en outre la direction opérationnelle de la stratégie de numérisation municipale adoptée au printemps 2024 et est à l’origine du lancement du programme Digi+, tous deux ayant pour objectif d’accélérer la numérisation au sein de l’administration municipale. Elle a avant cela occupé différents postes chez Swisscom, notamment dans le domaine de la stratégie du groupe et du développement des affaires. Dr Alexandra Collm est diplômée en sciences administratives et a effectué son doctorat à l’Université de Syracuse aux États-Unis et à l’Université de Saint-Gall, où elle a également mené un programme de recherche sur l’informatique et la gestion de l’innovation dans les secteurs public et non lucratif après son doctorat.
Thomas Alabor, de Bedag, a présenté la manière dont Bedag, en tant que prestataire de services informatiques, accompagne les administrations cantonales dans leur transition numérique, non pas grâce à des outils, mais grâce à la compréhension de leurs processus métier et la prise en compte des spécificités de l’administration publique. Des projets concrets tels que Capitastra (registre foncier) ou HelloDATA (plateforme de données) ont permis de mettre en évidence qu’une numérisation aboutie est le résultat d’une approche où l’informatique n’impose pas, mais accompagne, se fonde sur des connaissances techniques, développe de manière participative et met en œuvre des solutions dans le respect du droit applicable.
Au cœur de sa présentation figuraient les conditions-cadres propres à l’administration publique : les processus réglementés par la loi, l’égalité de traitement, la protection des données et le contrôle démocratique. Au lieu de promouvoir des plateformes techniques « prêtes à l’emploi », Thomas a exposé comment les solutions numériques sont élaborées en collaboration avec les services spécialisés, de manière modulaire, claire, axée sur la réalité du terrain, professionnelle et innovante.
Il a en particulier souligné la différence entre une gestion des données de référence axée sur la technologie et une disponibilité des données centrée sur les besoins métier : le fonctionnement d’un processus ne dépend en effet pas de l’outil, mais de la compréhension du cadre opérationnel et des données qui se cachent derrière. Ce n’est qu’ainsi que l’on parviendra à mettre en œuvre le principe « une fois pour toutes », exigé par la Déclaration de Tallinn.
Sa conclusion : l’administration numérique n’est efficace que lorsque les compétences professionnelles et la technologie trouvent un équilibre et lorsque le dialogue avec les spécialistes sert de point de départ à la définition de solutions. À cette fin, Bedag ne se contente pas de fournir les technologies nécessaires, mais offre également son expérience en matière d’administration, une relation de proximité et un partenariat à long terme.
Thomas Alabor est un spécialiste expérimenté dans le domaine de l’informatique et de la numérisation, et plus particulièrement de la cyberadministration. Il a rejoint Bedag Informatique SA il y a plus de huit ans et est responsable du développement stratégique du marché et du portefeuille en tant que Head Market & Portfolio. Son travail consiste principalement à développer des solutions modernes pour le secteur public, afin de permettre aux administrations de se concentrer sur leurs activités de conseil, d’expertise et de pilotage.
Thomas Alabor a par le passé mené des projets stratégiques de numérisation auprès de la Confédération et des cantons, notamment l’harmonisation des registres avec l’introduction de l’identificateur administratif de personnes NAVS13, la création de la plateforme sedex et la livraison électronique des données pour le recensement de la population. Il a en outre été responsable du registre d’identification des entreprises auprès de l’Office fédéral de la statistique, et de la réforme administrative auprès du canton de Neuchâtel.
Thomas Alabor est membre du Comité directeur de l’association eCH, qui œuvre en faveur de la standardisation dans le domaine de la cyberadministration en Suisse. Il publie par ailleurs des articles sur le thème de la numérisation et donne des conférences invitées dans des hautes écoles.
En ouverture de la deuxième partie de la journée, l’apéro de printemps, Patrick Karpiczenko, alias Karpi, le célèbre auteur, comédien, conférencier et enseignant dans le domaine de l’intelligence artificielle, a partagé avec les invité·e·s un aperçu de son quotidien d’homme qui murmure à l’oreille des machines.
Karpi est, pour ainsi dire, plutôt intime avec l’intelligence artificielle. Au Bierhübeli, il a posé la question suivante : les machines peuvent-elles aussi être drôles ? Il a ensuite montré au public comment générer des initiatives populaires à l’aide de l’IA. On obtient alors des résultats comme « Oui – pour l’obligation de chanter lors du test des sirènes » ou encore « Oui – pour une initiative populaire en faveur d’une obligation de salutation dans les transports publics ». Karpi a expliqué pourquoi ChatGPT est rapidement devenu un outil grand public un brin trop conformiste et rigide, et comment il était devenu possible pour chacun·e de manipuler des images et des textes à sa guise. L’intelligence artificielle rend tout possible et donc aussi quelque peu aléatoire : À quoi ressemble le conseiller fédéral typique ? Importons tous les portraits et admirons la fusion.
L’intelligence artificielle devient rapidement une forme de moyenne artificielle (et artistique). L’IA permet d’écouter la «Chanson sur le jambon et la saucisse» interprétée par DJ Bobo. Chaque idée saugrenue a le pouvoir de devenir virale dans les médias (Non, Trump ne veut pas acheter la Suisse. Il s’agit d’une (réelle) satire de Karpi qui a généré des millions de clics.) L’IA traduit, visualise, prototype, standardise et hallucine.
L’IA promet ce que la vie ne tient pas. Prudence donc : le succès pourrait vous obliger à faire des folies, comme Karpi lorsqu’il a dû (faire) écrire et concevoir le livre pour enfants « Ma première démo » à cause du nombre considérable de pré-commandes.
Les invité·e·s ont par la suite discuté des conférences des intervenant·e·s clés lors de l’apéro dînatoire, ont pu revoir des personnes qu’il·elle·s connaissaient et même en rencontrer de nouvelles. La cinquième Journée de l’innovation de Bedag a elle aussi reçu un écho très favorable de la part des participant·e·s. L’innovation, la numérisation et l’IA sont et resteront pour nous tou·te·s des questions d’avenir. C’est pourquoi nous attendons déjà avec impatience la prochaine Journée de l’innovation en 2026. La date et le lieu exacts restent cependant encore secrets !